Avant-projet de Constitution :  Les éclairages de Mes Mountaga Tall et Kassoum Tapo

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Comme l’indique son nom, l’avant-projet de Constitution n’est qu’un texte provisoire, préparatoire du définitif. Il s’agit d’une esquisse de recommandations des Maliens qui devront être amendées à partir des discussions et analyses.
Si Me Kassoum Tapo trouve que « l’avant-projet a plus l’allure d’une loi organique que d’une Constitution » de par sa longueur, Me Mountaga Tall, quant à lui, souligne « l’impossible » « unanimité autour d’un projet aussi ambitieux » que la constitution.
Me Kassoum Tapo a félicité la commission qui a travaillé d’arrache-pied, en si peu de temps pour élaborer cet avant-projet de Constitution. Cependant, l’avocat estime qu’il y a beaucoup de choses à dire sur ce nouveau texte. « D’abord, je trouve que le document est un peu trop long avec 195 articles. Alors qu’à titre comparatif, la Constitution de 1992 comporte 122 articles contre 89 pour la Constitution française de 1958 dont elle s’inspire », a fait remarquer le juriste qui souligne, dans le même temps, la volonté de la commission de vouloir « prendre en charge tous les problèmes institutionnel, politique, économique et social du pays. Ce qui fait que l’avant-projet a plus l’allure d’une loi organique que d’une Constitution qui prend en charge un peu les problèmes relevant du domaine du Code civil, des Codes de déontologie, de l’administration, etc… donc du domaine de la Loi. Toutes choses qui n’ont forcément pas leur place dans une Constitution, qui doit se limiter aux principes d’organisation des pouvoirs publics », a-t-il souligné.
Selon lui, « l’innovation majeure, c’est la possibilité de destitution du président de la République ; mais aussi, celle des présidents du Haut conseil de la nation et de l’Assemblée nationale. Je pense qu’aujourd’hui, nous avons plus à nous soucier de la stabilité de l’Etat qu’autre chose. Permettre aux deux chambres de destituer le président de la République, à mon sens, c’est la voie ouverte au coup d’état civil, cette fois-ci ».
Il a par ailleurs remis en cause la destitution des présidents des deux chambres après deux ans. « Je n’en vois vraiment pas l’utilité », souligne l’ancien ministre de la justice, Me Tapo pour qui, l’on peut simplement les élire pour deux ans ou annuellement, sans forcément prévoir une procédure de destitution des présidents des deux chambres.  Le faire, selon lui, est une voie ouverte à l’instabilité totale.
Me Kassoume Tapo n’est pas satisfaite de « la situation du Premier ministre qui n’est plus responsable devant le Parlement, mais devant le président de la République ». Il pense qu’il n y a pas de raisons pour un premier ministre nommé par le président de la République, qui peut le révoquer à tout moment, de prévoir encore sa responsabilité devant le président de la République.
Toutefois, s’interroge Me Tapo, si « le Parlement n’a plus le pouvoir de sanctionner le gouvernement, pourquoi lui donner alors un pouvoir d’évaluation et de contrôle du gouvernement ? ». Ce sont des espèces de mise en parallèle des pouvoirs, dit-il.
« Normalement, poursuit-il, le gouvernement doit pouvoir être censuré par le Parlement et le parlement être dissout par le président de la République ».
Toujours selon l’avocat, le président de la République ne peut plus dissoudre l’Assemblée nationale alors que lui, il peut être démis par le Parlement. Pire, le plus dangereux, « c’est justement la mise en accusation du président de la République pour sa destitution qui est faite à la majorité simple des deux chambres. Dès lors que les deux chambres sont d’accord pour le destituer le président de la République, il perd toute immunité. Cela veut dire, dès lors, que le président n’a pas la majorité à l’Assemblée nationale, il y a un risque d’instabilité. Et dès lors qu’il est poursuivi, il perd son immunité. Cela veut dire que tout juge peut décerner mandat d’arrêt ou mandat de dépôt contre lui, alors qu’il est encore président de la République et n’est pas destitué ».
Selon lui, l’on devrait supprimer la première partie de la Constitution sur les droits humains qui n’a aucune justification car le préambule est suffisamment indicatif.
Dans le fond, aujourd’hui, le problème du Mali, c’est l’Etat, c’est l’insécurité, c’est l’instabilité. Alors, pour Me Tapo, on devrait commencer par l’Etat et la souveraineté. L’autre manquement est lié au fait que l’indépendance de la justice n’a pas été affirmé « parce que le président de la République continue à présider le Conseil supérieur de la magistrature. Alors que pour l’indépendance de la justice, ce n’était pas nécessaire », souligne Me Tapo qui salue par contre que, « les citoyens puissent directement saisir le Conseil supérieur de la magistrature, de leurs actions contre éventuellement des juges ».
Pour Me Mountaga Tall un avant-projet n’est autre chose que la rédaction provisoire ou l’étude préparatoire d’un projet. « Cette première précision me parait utile pour cerner les contours des débats en cours. Pour l’instant, rien n’est gravé dans le marbre et les discussions et analyses sont certainement utiles et doivent être bienvenues », dit-il. Ensuite, Me Tall reconnait qu’il est « impossible » de parvenir à « l’unanimité autour d’un projet aussi ambitieux ». Il revient à une campagne référendaire de départager. « C’est pour toutes ces raisons, au demeurant, qu’une campagne référendaire suivie d’un référendum sont organisés avec parfois des résultats serrés dans certains pays. L’important en cette matière est d’être le plus consensuel possible, le moins clivant et de ne surtout pas faire de l’écriture d’une nouvelle Constitution un moyen de faire prévaloir des visions personnelles ou des intérêts politiques et encore moins de faire prévaloir un groupe sur l’autre. Je pense qu’il n’en a pas été ainsi. »
Cependant, malgré la qualité du travail de la commission de rédaction, il craint qu’une appréciation technique de l’avant-projet article par article soit fastidieuse voire impossible. Mais, dit-il, il y a bien évidemment quelques points qui peuvent être améliorés.
« La réflexion pourrait ainsi se poursuivre sur l’autorité qui déterminera la politique de la nation en cas de cohabitation ou sur les clarifications à apporter sur le type de régime proposé.  On peut également s’interroger sur le rôle du Haut conseil de la nation, qui pouvait être la fusion du  Conseil économique, social et culturel (CESC) et du Haut conseil des collectivités actuels ». Ce faisant, on impliquerait davantage les légitimités religieuses et traditionnelles dans la vie de la nation sans les exposer aux prises de positions politiques et partisanes inévitables dans une chambre parlementaire. Pour lui, la navette parlementaire que supposent deux chambres au Parlement n’est pas gage d’efficacité dans notre environnement politique et économique.
« Par ailleurs, l’on peut constater que le louable souci de pédagogie a quelquefois conduit à insérer dans la Constitution des normes qui relèvent normalement de la loi organique et parfois même de la loi ordinaire », a souligné Me Tall. Certes, les Assises nationales de la refondation (ARN) sont passées par là avec les conclusions dont il fallait impérativement tenir compte, mais certaines d’entre elles posaient de sérieux problèmes de logique, voire d’équilibre et de stabilité politique et institutionnelle.
« Le besoin d’une nouvelle Constitution ne doit pas être interprété comme la «mise à la poubelle» de la Constitution de 1992 qui, quoi qu’on en dise, a tenu trente ans. Mais, depuis son adoption, la pratique politique et institutionnelle du Mali a mis en évidence la nécessité d’intégrer de nouvelles dispositions », a indiqué l’avocat et ancien ministre.
Après trois tentatives infructueuses et la demande insistante des Maliens à travers les ANR, l’adoption d’une nouvelle constitution est plus qu’un impératif et le travail ne pouvait plus être différé. « Je dirais pour conclure que cette Constitution, comme celle de 1992, ne sera que ce qu’en feront les Maliens, gouvernants comme gouvernés. Les premiers en faisant preuve de vertu républicaine et démocratique et les seconds, en jouant leur rôle de sentinelle vigilante ».
Binadjan Doumbia
 Source Malikilé
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